Eucharisbulle

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Eucharisbulle ? Acte central du culte bullique qui commémore, à travers le rite de la quadrature du cercle, le sacrifice du premier circlologue sur le carré, les croyants allant s’unir dans une même foi avec l’adoption d’une jeune bulle, alliant ainsi le carré de leur existence terrestre au divin de la rondodité de la bulle. Et moi dans tout ça ? Pépé et mémé avaient insisté pour que je les accompagne. Pas le choix. Bien. Ils m’emmènent dans un vaste édifice de pierres. Devant l’autel, deux rangées de bancs. Nous nous asseyons. Face à chaque banc, il y en a un autre plus petit. On dirait un banc pour les pieds. En tout cas, moi, je le comprends comme ça. Un banc pour les fesses et un pour les pieds. Pépé lui… Bref ! Le chant sacré commence.

RR-ON-MM RR-ON-MM

Les bulles arrivent. Elles volettent au-dessus du Grand Circlologue. Deux par deux, elles se cherchent. L’une fait un clin d’œil. L’autre répond par une pirouette sur elle-même. Et le jeu se répète. Le chant évolue.

ON-OO-A ON-OO-A

Elles se rapprochent l’une de l’autre. Elles dansent sur quatre temps, tournoient de plus en plus vite et… DINN ! Elles s’unissent en une seule bulle qui se met à vibrer, à trembler, à tourner, à trépider, à… DINN ! L’une et l’autre se séparent et enfantent d’une toute petite bulle.
L’eucharisbulle commence. Les fidèles se lèvent, forment une longue file devant le Grand Circlologue. Chacun reçoit sa bulle. Le prêtre saisit un bébé bulle, le porte au front du dévot, puis à sa bouche avant de le déposer au creux de ses mains jointes. Je prends place dans la file. Mon grand-père se retourne. Non !Pas toi ! Pourquoi pas moi ? Tu n’es pas carré !

Moi ? Pas un carré ? Hé ! Des côtés, j’en ai trois, des sommets trois, des angles, trois de soixante degrés ! Je ne suis pas carré. Je ne suis pas carré. J’ouvre un dictionnaire. Je feuillète les pages. Figure à trois côtés, angles de soixante degrés… Je suis un triangle équilatéral !
Pépé a toujours reproché à maman mon absence d’angles droits. Il rentre pas dans les boîtes comme il dit. Normal, moi, je ne peux m’emboîter qu’avec d’autres triangles. Pour pépé, ce n’est pas envisageable. Chez les carrés, le triangulisme est un péché innommable. Interdit d’en parler. Encore plus de l’être. Mais bon, jusqu’à présent, je n’avais pas de mot pour me définir. C’est comme si je n’existais pas. Et pourtant si, il y a un terme pour dire ce que je suis : triangle.
Mais alors, pas de bulle. Le carré peut être circonscrit. Pas le triangle. Si je veux ma bulle, il faut que je me distordre, que je désunisse deux de mes côtés, que je les sépare et les relie par un nouveau segment, étranger. Ça me ferait quatre côtés. Je pourrais peut-être juste garder mes angles.

Pépé ! Et si j’étais trapèze ? Non ! Tu ne transmettra pas ta difformité !
Angles droits, vous êtes obtus ! Et bien, moi aussi. Trois côtés, trois sommets, trois angles de soixante degrés et trois fois têtu !
Je partis me promener sur un plan qui n’était pas encore quadrillé de perpendiculaires. C’est là que je le vis. Face à moi, un autre triangle. Il s’approche. Je m’avance et je trébuche sur un point qui n’a pas été effacé. Je me retrouve collé contre lui, la tête en bas. Je me sens bien. Nous formons une étoile. Nos corps émettent une lueur. Nous rayonnons. Nous sommes prisme. La lumière se décompose sur nos facettes triangulaires. Elle n’est plus blanche mais rouge, orange, jaune, verte, bleue et mauve. Je n’avais jamais vu le monde sous cet angle. Fini cette teinte de crayon de papier. Nous jaunissons à vue d’œil. Un vecteur tacheté de bleu passe près de nous.

Pépé, il ne pourra pas en profiter.
Moi, je vais éclairer le monde de mes couleurs.
Lui, carré.
Moi, triangle.
Oui, triangle…