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Projet ATLAS : Les autotests VIH, un outil pour pallier au manque d’accès au dépistage en Afrique de l’Ouest

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par Joseph Larmarange, démographe en santé publique, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Alice Desclaux, Anthropologue de la santé, TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)

L’épidémie de VIH n’est pas terminée.

En Afrique de l’Ouest, selon les pays, 0,5 % à 3 % des adultes en population générale sont infectés. La prise d’un traitement antirétroviral permet d’interrompre la transmission, mais pour cela il faut que les personnes infectées soient dépistées. Or, dans cette sous-région, 23 % des personnes vivant avec le VIH ne connaissent par leur statut.

Certaines populations dites « clés » sont particulièrement touchées : travailleuses du sexe (TS), usagères et usagers de drogues (UD), hommes qui ont des relations avec des hommes (HSH). En Afrique de l’Ouest du Centre, en 2020, 45 % des nouvelles infections auraient eu lieu dans ces populations clés et 27 % parmi leurs partenaires sexuels et clients, selon l’Onusida.

Les activités communautaires sont efficaces pour toucher les populations clés qui s’identifient en tant que telles, notamment dans les associations.

Par contre, celles et ceux en périphérie (TS occasionnelles, HSH clandestins…) sont difficiles d’accès, ce qui est aggravé par la stigmatisation à laquelle ces populations font face, voire la criminalisation de leurs pratiques. Leurs partenaires et clients sont peu pris en compte dans les stratégies actuelles. Ces groupes sociaux, qualifiés de « populations cachées », ne sont pas des groupes homogènes ; les populations périphériques ont peu accès au dépistage du VIH.

L’autodépistage : une nouvelle stratégie de dépistage

Avec la mise au point d’autotests pour le VIH, l’autodépistage (ADVIH) permet aux personnes de se tester elles-mêmes : un manuel d’utilisation et une vidéo sont fournis avec le test, qui donne en une vingtaine de minutes un résultat d’orientation : s’il est négatif, la personne n’est pas porteuse du VIH et peut éventuellement être orientée vers des services de prévention ; s’il est positif, elle doit recourir à une structure de santé pour réaliser un test de confirmation.

La faisabilité, l’acceptabilité et l’efficacité de cette innovation ont d’abord été validées en Afrique australe et de l’Est où le dépistage est une pratique banalisée (initiative STAR, financée par l’agence de santé mondiale Unitaid).

Le projet ATLAS (Autotest : libre de connaître son statut VIH) porté par l’ONG Solthis et financé également par Unitaid s’est donné pour objectif d’introduire et d’étendre cette innovation dans trois pays ouest-africains : Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal. L’IRD (Institut de recherche pour le développement) a accompagné ce projet par la recherche afin de comprendre les obstacles, limites et acquis du projet.

Son acceptabilité sociale par les populations clés a été étudiée en abordant non seulement l’acceptabilité de l’autotest mais aussi celle de son mode de distribution.

Cet article répond à l’une des principales questions que soulève le projet : les populations qui ne vont pas dans les structures de dépistage utilisent-elles l’ADVIH et, si oui, dans quelles circonstances et à quelles conditions ?

Pour explorer ces aspects, nous avons utilisé deux méthodes en particulier : des entretiens qualitatifs et une enquête téléphonique anonyme auprès des utilisatrices et des utilisateurs des trois pays.

L’ADVIH est apprécié par ses utilisatrices et utilisateurs pour plusieurs raisons, qui apparaissent dans les entretiens réalisés à Dakar, Mbour et Ziguinchor (Sénégal), Bamako et Kati (Mali) et Abidjan, Maféré et San Pedro (Côte d’Ivoire) : en premier lieu, il permet de choisir où, quand, et comment pratiquer son autotest. Chacun peut donc le réaliser quand il/elle se sent prête psychologiquement, le faire en toute confidentialité, sans risquer d’être vue dans un service connoté VIH, et sans dépendre de tiers, en plus des gains de temps et du caractère « pratique » et « user-friendly » de la technique.

Distribution primaire et secondaire

Il est possible d’obtenir des kits d’autodépistage auprès d’associations, de professionnels de santé ou de paires-éducatrices/pairs-éducateurs dans le cadre de sorties au sein des communautés : c’est la distribution primaire. La personne peut alors pratiquer l’ADVIH pour elle-même, ou le remettre à une autre personne : c’est la distribution secondaire. C’est là que l’ADVIH représente une véritable innovation.

L’enquête qualitative a montré que les personnes redistribuent l’ADVIH dans leur réseau social, avec diverses motivations parmi lesquelles : la volonté pour une TS de connaître le statut d’un client afin de décider de l’utilisation du préservatif ; la vérification du statut d’un partenaire ou d’un client qui se déclare séronégatif et refuse le préservatif ; la proposition à un conjoint réticent au dépistage usuel et qui a des comportements à risques, parfois depuis de nombreuses années. L’ADVIH est aussi utilisé dans les réseaux des populations clés, ainsi qu’avec leurs conjoints ou partenaires réguliers, des membres de leurs familles et des paires « cachées ».

« J’ai aussi un client chez qui je me rends […] Je lui ai donné trois kits parce qu’il m’a montré clairement qu’il a une autre partenaire […] donc il voulait que celle-là aussi fasse avec l’autotest. » (TS, Mali)

Cette distribution secondaire est apparue acceptable.

Comme décrit en Afrique de l’Est, l’étude ne rapporte qu’exceptionnellement des effets sociaux « indésirables », tels que des réactions violentes à une proposition d’autotest ou à l’annonce de son résultat, ou des pressions de tiers. Ceci tient sans doute aux précautions que prennent les personnes pour sélectionner celles ou ceux à qui elles proposent l’autotest, en évitant les conflits et les situations où la proposition provoquerait des violences ou l’interruption brutale de la relation.

Les personnes qui se testent pour la première fois

« J’ai tout le temps refusé de me faire piquer avec le dépistage classique, mais à cause de l’autotest, j’ai découvert que j’étais infecté. » (HSH, Mali)

L’enquête téléphonique auprès des personnes qui ont fait leur autotest montre qu’au moins un tiers d’entre elles ont reçu ce dernier en distribution secondaire et 41 % déclarent qu’elles ne s’étaient jamais dépistées. La distribution secondaire permet aux TS d’atteindre des hommes souvent en couple par ailleurs et de toucher leurs partenaires/conjointes, et aux HSH de toucher des « HSH cachés » et des femmes partenaires.

Ainsi, l’ADVIH permet de toucher, au-delà des populations clés, des personnes vulnérables qui ne s’étaient jamais dépistées. D’un point de vue de santé publique, cette stratégie complète des approches plus visibles dans l’espace public, par exemple les offres de test dans les sites de travail sexuel, les lieux de socialisation homosexuelle ou de consommation de drogues.

L’ADVIH n’induit pas de rupture de lien avec les services de santé. Dans l’enquête qualitative, la quasi-totalité des personnes interrogées dont l’autotest était positif (7/8 personnes) y ont effectué un test de confirmation du VIH. Dans l’enquête téléphonique, cela concernait une personne sur deux.

Quand la confirmation a lieu, c’est en général dans un laps de temps court (moins d’une semaine pour la majorité). Surtout, l’enquête a montré que la moitié des personnes qui ont fait un test de confirmation se sont rendues dans des structures de santé « tous publics », plus discrètes que les structures dédiées aux populations clés. Toutes les personnes enquêtées confirmées séropositives ont initié un traitement antirétroviral.

Gros plan sur un homme assis sur un banc, le kit à côté de lui
Les kits peuvent être distribués directement ou par un intermédiaire. Cette distribution secondaire permet d’élargir le dépistage à un public caché autrement inaccessible. Projet Atlas/SOLTHIS/Jean-Claude Frisque, Fourni par l’auteur

Un outil d’empouvoirement

L’ADVIH est un outil de triage et d’orientation, mais aussi de sensibilisation pour la prévention. Parmi les personnes dépistées, 50 % se percevaient comme n’étant pas à risque d’infection par le VIH. Il est apprécié parce qu’il va dans le sens du respect des droits humains en permettant de connaître son statut VIH « quand on veut, où on veut et si on veut ».

Il donne aux utilisatrices et aux utilisateurs la possibilité de se tester sans la présence d’un prestataire, de garder le résultat pour soi, de choisir, le cas échéant, où faire un test de confirmation et, aux femmes en particulier, le « pouvoir de proposer » de connaître son statut.

C’est aussi un outil efficace d’un point de vue populationnel pour atteindre des groupes ou individus vulnérables cachés, en particulier dans des pays de faible prévalence. Ces avantages sont particulièrement importants à l’heure où les modes de socialisation des rencontres sexuelles évoluent (contacts inter-individuels par des applications en ligne et éparpillement des lieux de rencontre).

L’ADVIH est aussi essentiel alors que les capacités de dépistage VIH sont fragilisées dans plusieurs pays ouest-africains par l’accroissement de l’homophobie structurelle sociétale et par la fragilité sécuritaire et politique qui, dans des zones du Sahel, interrompt l’activité des services de santé.


Les auteurs tiennent à remercier Odette Ky-Zerbo (IRD TransVIHMI) qui a mené les entretiens, Arsène Kra Kouassi et Arlette Simo Fotso (IRD Ceped) qui ont conduit l’enquête téléphonique, et Anthony Vaultier (Solthis, directeur technique ATLAS) pour leur contribution à cet article.

L’initiative STAR ainsi que le projet ATLAS sont financés par l’agence de santé mondiale Unitaid.The Conversation