Les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes restent durement touchés par l’épidémie, au Nord mais aussi au Sud.
En prélude à la Conférence, le Global Forum on MSM&HIV organisait les 10 et 11 août 2006 à Toronto une pré-conférence consacrée au VIH et aux hommes gays et autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) [1]. Son objectif : inaugurer la mise en place d’un forum mondial sur ces questions et mettre en lumière l’urgente nécessité d’augmenter les fonds et les actions en direction de cette population, dans la mesure où, selon le rapport 2006 de l’Onusida, seul un HSH sur vingt dans le monde a accès aux services de prévention et de soins dont il a besoin [2], bien que les estimations de prévalence du VIH dans ce groupe soient plus élevées que dans tout autre groupe. Autre objectif, négocier la tenue d’une session plénière lors de la prochaine conférence de 2008 à Mexico. Cette année, les questions HSH ont surtout été débattues lors de sessions satellites, lors d’ateliers de renforcement des compétences, ou au village global. Seule une session d’abstracts [3] et un symposium [4] étaient explicitement centrés sur les HSH. Que ce soit à la pré-conférence ou dans les sessions consacrées aux HSH, les intervenants étaient dans une très grande majorité anglo-saxons (Etats-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni), puis mexicains et asiatiques, les autres pays européens n’étaient peu ou pas représentés.
Où en est-on au Nord ?
La situation épidémique chez les HSH reste préoccupante dans les pays industrialisés, avec des prévalences élevées (voir tableau).
Ron Stall [5] a présenté les premiers résultats d’une revue de littérature sur les enquêtes ayant mesuré l’incidence chez les HSH ou les gay/bi de 1995 à nos jours, en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest, en Australie et en Nouvelle-Zélande. 22 études indépendantes ont été retenues, fournissant 90 estimations annuelles d’incidence. L’incidence moyenne était de 1,93% dans les enquêtes avec un échantillonnage communautaire. Ron Stall a montré qu’une telle incidence, appliquée à une cohorte d’hommes ayant une prévalence de 8% à l’âge de 20 ans, en supposant une absence de mortalité liée au VIH avant l’âge de 60 ans, induisait une prévalence de l’ordre de 25% à 30 ans, et d’un peu moins de 50% à 50 ans.
Il a particulièrement insisté sur la situation des Afro-américains, chez lesquels une incidence annuelle de 4% a été observée chez les 15-22 ans, et de 15% chez les 23-29 ans dans une étude réalisée dans sept villes américaines entre 1994 et 2000. La prévalence chez les Afro-américains non hispaniques dans une enquête réalisée en 2005 dans cinq villes américaines était de 46%, tandis qu’elle était de 21% chez les Blancs non hispaniques, de 19% chez les personnes appartenant à plusieurs groupes ethniques, et de 17% chez les HSH hispaniques. De telles différences ne sont pas nouvelles puisqu’elles avaient déjà été observées dès les années 1980 [6].
Peu de données concernant l’Europe ont été présentées. Le dernier rapport de surveillance du VIH/sida en Europe [7], sorti en août, met en évidence que la majorité des enquêtes réalisées sont basées sur le statut sérologique déclaré par les enquêtés, ou sur des sous-groupes spécifiques (patients atteint d’une IST, personnes ayant effectué un test dans un centre de dépistage...). Il est alors difficile d’avoir une image précise de la prévalence réelle, ou de l’incidence, ou de pouvoir mettre en évidence une augmentation de celle-ci depuis 2000 (dans la mesure où les biais de recrutement induisent inévitablement une variation de la prévalence mesurée). Cependant, l’augmentation très importante (+45%) des cas de séropositivité rapportés chez les HSH indique clairement une augmentation des nouvelles infections dans cette population, la prévalence se situant entre 10 et 20% en Europe de l’Ouest, et probablement en dessous des 5% dans les pays de l’Est.
Et au Sud ?
Sous l’impulsion de l’Onusida, une importante méta-analyse a été réalisée sur les rapports sexuels entre hommes dans les pays à faibles et moyens revenus [8] (voir tableau). Il en ressort que le nombre d’études sur les HSH dans ces pays reste limité. La majorité a été réalisée en Amérique Latine, en Asie du Sud et dans les Caraïbes. Seulement moins d’un tiers de ces enquêtes a mesuré la prévalence du VIH. Bien qu’il semble enfin admis que l’homosexualité est une réalité sur ce continent, l’Afrique subsaharienne reste la région la moins étudiée. Seules 8 études ont été recensées, et aucune ne fournit de données de prévalence [9].
Les prévalences observées chez les HSH sont largement supérieures à celles observées en population générale. Cela a été confirmé par Chris Beyer [10] qui a présenté des résultats montrant que la prévalence chez les HSH était, dans des pays à faible prévalence au niveau national, 10 à 20 fois supérieure à celle observée en population générale [11].
Dans un grand nombre de pays, ces épidémies se développent de manière « masquée » dans des contextes de stigmatisation, de discrimination et/ou de criminalisation de l’homosexualité masculine.
De nombreux intervenants ont par ailleurs rappelé que les droits de l’individu et le droit à vivre sa sexualité de manière épanouie étaient fondamentaux dans la lutte contre le VIH/sida, dans la mesure où le non-respect de ces droits augmente significativement la vulnérabilité des individus et limite l’accès à des services de prévention, de soins et de prise en charge thérapeutique.
Les résultats de cette méta-analyse montrent par ailleurs qu’une large majorité des HSH ont également eu des rapports avec des femmes. Ce fait ne concerne pas que les pays à revenus faibles et moyens, mais aussi certains HSH des pays du Nord, amenant ainsi quelques présentateurs à parler d’HSHF (Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et des femmes).
De qui parle-t-on ?
Plusieurs intervenants sont revenus sur les concepts utilisés pour caractériser les homosexuels [12]. Le paradigme LGBT (Lesbienne Gay Bi Trans), issu d’une construction culturelle occidentale, n’est pas adapté pour rendre compte de la diversité des homosexualités, que ce soit dans les pays du Sud, où d’autres formes de construction culturelle de l’érotisme entre hommes existent, ou bien dans les pays du Nord, où de nombreux HSH ne se reconnaissent pas dans ces définitions. Il importe d’être vigilant dans les comparaisons, à la fois entre différents pays, mais aussi au sein d’une même société. Certains termes, comme celui de bareback sex, sont ainsi abusivement utilisés dans des contextes où ils perdent leur sens.
La terminologie HSH (Hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes) est également problématique. Permettant d’identifier les individus par ce qu’ils font et non ce qu’ils sont, cette terminologie induit régulièrement une focalisation sur les comportements en omettant le contexte socio-historico-culturel dans lequel s’inscrivent les pratiques et qui leur donne sens. Gary Dawsett a souligné lors d’un satellite combien l’approche HSH agrège différentes formes de cultures érotiques entre personnes de même sexe dans une seule et même catégorie, masquant ainsi des différences fondamentales pour la compréhension des comportements et pratiques et pourtant nécessaires pour développer des actions de prévention appropriées et efficaces.
D’autre part, la construction des normes et des rôles chez les HSH ne peut être appréhendée sans une prise en compte plus globale des représentations de genre et de la masculinité dans les sociétés où ils vivent [13].
Vingt-cinq ans après le début de l’épidémie, les HSH restent particulièrement touchés et vulnérables face au VIH. En Occident, l’épidémie continue de progresser, interrogeant une prévention qui s’essouffle. Dans d’autres pays, notamment en Afrique, on commence à peine à se rendre compte de la situation. Si les activistes et les associations commencent à s’organiser, la recherche, elle, peine à suivre.
Référence
(2006). “Hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) : une épidémie toujours active”, Transcriptases / ANRS Information, 129 (http://www.vih.org/transcriptases), RIS, BibTeX.